Depuis maintenant quelques
semaines, je découvre Tana en conduisant. Après avoir exercé mes chevilles sur
les pavés défaits, la tête baissée, je les
expérimente maintenant au volant. Le résultat est plutôt amusant : avec
une roue à plat par semaine nous connaissons maintenant le réparateur par son
prénom ! Malgré la lenteur de la
circulation, difficile de slalomer entre tous les trous ou d’éviter les pierres
qui jalonnent les rues pavées sans esquinter notre fier destrier.
La circulation, parlons-en
justement ! Tout s’y mélange et tous s’y emmêlent ! Les charrettes,
les bus, les scooters, les voitures, les camions de 5 tonnes, les vélos, les
piétons. Et encore, nous n’avons ni les pousse-pousse d’Antsirabe ni les
touk-touk de Mahajanga ! Mais nous avons les 12 collines de Tana !
Comment peut-on s’accommoder de
tous ces véhicules quand les trottoirs sont inexistants où accaparés par les
vendeurs qui y installent leurs étals, quand les rues sont si étroites que deux
voitures n’arrivent pas à s’y croiser, quand il s’agit de se frayer un passage
au milieu d’une marée humaine ? Et pourtant, jamais une situation n’a été
inextricable ! A grand renfort de démarrages en côtes, de coups de klaxon
pour remercier et de sourires amusés, tout n’est qu’une histoire de temps. En
effet, il ne faut pas être pressé. L’urgence
n’existe pas. La hâte n’est pas comprise. Et au contraire, les salutations
et les gestes de bienveillance qui accompagnent ces rencontres fortuites sont perçus
comme autant de signes encourageants !
Cette lenteur de mes déplacements
me donne à voir différemment le monde qui m’entoure. A pieds, je me sens vite
assaillie. Bousculades, vols, mauvaises odeurs, tout est agressif. En voiture,
je suis protégée, un peu comme dans une bulle, et j’avance tout doucement, au
rythme des embouteillages. Et j’ai le temps de regarder, d’observer, de contempler.
Les couleurs
magnifiques de toutes ces fleurs arrosées par ces si longues pluies, ces
couchers de soleil splendides sur le palais de la Reine, cette vie fourmillante
devant les épiceries ouvertes sur la rue, ces étendues de rizières jaunies par
le soleil. Mais aussi la misère de ces familles fouillant dans les bennes à
ordure, ces femmes assises à même le sol en allaitant leurs enfants, ces
bambins qui mendient dès qu’ils sont en âge de parler, ces hommes saouls de
toaka gasy. Comment ne pas être scandalisé ? Mais sur quoi cette
indignation doit-elle déboucher ? Quel est le geste juste ? Dur
combat qui me pousse dans mes retranchements.
La lenteur fait partie de leur
quotidien, de leurs habitudes. On ne s’étonne donc qu’à peine que le Premier
ministre ne soit nommé que maintenant, quatre mois après l’investiture du
nouveau président.
Mais derrière ce rythme qui nous
déconcerte parfois, il y a un vrai apprentissage. Celui de porter attention à ce
qui nous entoure, celui d’accueillir chaque instant comme un don reçu et non
pas comme une chose contrôlée, celui de s’émerveiller de la vie qui jaillit en
abondance, sous nos yeux.
Récolte du riz à Antsirabe |