mardi 10 décembre 2013

Tête baissée



C’est parti d’une simple observation : en marchant dans la rue, j’ai continuellement la tête baissée.

Impossible de faire autrement sans risquer de se prendre les pieds dans les nombreux obstacles qui jalonnent n’importe quelle « promenade » dans Tananarive. Les pavés irréguliers et glissants, les trous dans le goudron, les déchets qui s’amoncellent, les torrents d’eaux qui ruissellement le long des trottoirs après les gros orages, les dalles manquantes dans les bordures laissant des trous de plusieurs mètres de profondeur, les petits vendeurs installant leurs marchandises à même le sol. Bref, mieux vaut avoir un œil attentif à l’endroit où l’on pose ses pieds ! C’est donc les yeux fixés sur les pavés que j’arpente depuis un mois les rues de la capitale pour approvisionner le chantier de tous les matériaux et outillages nécessaires aux ouvriers. Difficile de s’orienter dans cette ville où il n’existe aucuns panneaux de signalisation et encore moins indiquant une direction. Le seul moyen de retrouver son chemin est de mémoriser des points de repères qui serviront au prochain passage. Le plus drôle est de voir Jean-Baptiste, mon chef de chantier, se perdre lui aussi dans ces dédales de rues sans nom avec pour seule remarque : « On perd vite son chemin ici parce que c’est difficile de trouver le nord »… Effectivement, chacun ces repères !
Merci pour l’humour de Jean-Baptiste dans toute situation !

Tous ces achats se font au prix de nombreuses négociations et c’est bien la tête baissée, et parfois les genoux fléchis quand la discussion s’annonce longue, que les malgaches s’accordent. Là où nous, européens, nous nous installerions face à face autour d’une table, pour entamer ce bras de fer verbal, les malgaches eux, restent debout mais toujours avec les yeux rivés sur le sol. Cette position peut durer assez longtemps puisque, implicitement, le principe de la négociation établi que le gagnant est celui qui tiendra le plus longtemps sa position. Croiser le regard de l’autre serait considéré comme une marque d’irrespect. De l’extérieur il est impossible de connaître le cours de la conversation. Dénués de toute expression, les visages sont impassibles et les intonations monocordes. C’est donc avec beaucoup de curiosité que j’observe Jean-Baptiste agir de la sorte et parfois l’appuyer de quelques arguments.
Merci pour ces fous-rires, mélanges d’incompréhension et d’étonnement, qui égayent mes journées !

Toujours dans la rue, garder la tête baissée permet d’éviter de croiser trop de regards et ainsi d’avoir l’impression de passer plus inaperçu. La rue est un fourmillement continu de gens affairés ou guettant les affaires. Les regards sont souvent chargés d’envies mal intentionnées ou de provocations. Triste constatation de relations impossibles.
Merci pour les sourires échangés une fois la confiance établie.

Le second tour de l’élection présidentielle est annoncé pour le 20 décembre et c’est encore la tête baissée que le peuple malgache s’apprête à élire un nouveau dirigeant à la tête du pays. Déçue des quatre années au pouvoir du régime de transition en place depuis le coup d’état de 2009, la population a perdu toute confiance dans ses représentants politiques. Les deux candidats du second tour étant réciproquement soutenus par les deux anciens présidents (Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina) qui comptent bien garder une influence sur le pays, le renouvellement attendu par ces élections n’est plus à l’ordre du jour. Résignés, les malgaches boudent ce vote, conscients qu’il sera le résultat de tricheries et d’arrangements et non pas de la pensée collective.
Merci pour tous ceux qui gardent de l’espérance pour Madagascar.

Nous étions attablés dans le salon de Mme Haingo, notre fournisseur principal de matériaux en vrac, pour payer les livraisons du jour. Son fils apprenait sa leçon du jour,  penché sur son cahier d’écolier. Quand il releva la tête, je constatais avec surprise qu’il lui manquait ces trois dents de devant.
-« Tsy misy nify intsony !  (Ah, il n’a plus de dents !)
-Tamin’y telo taoana, ratsy loatra ny nifyny, de asurana ny nifyny de tsy mitombo intsony. (A l’âge de trois ans ces dents étaient tellement pourries que je les lui ai fait enlever. Depuis, elles n’ont plus repoussées)
-Enina taoana izy de efa telo taona izy tsy manana nify aloha ve? (Il n’a que 6 ans et ça fait déja trois ans qu’il n’a plus de dents de devant ?)
-Izany (C’est ça) »
Merci pour toutes mes dents !


La tête baissée…
Ça peut être une attitude de repli sur soi quand le monde extérieur nous rappelle que nous sommes étrangers et devient agressif ; ça peut être un moyen de cacher ses sentiments ou ce qui nous anime intérieurement ; ça peut être une attitude d’intériorisation pour faciliter la concentration…
Les causes sont multiples, la conséquence est la même : la création d’une rupture avec ceux qui nous entourent.
Tananarive est un monde en soi, particulièrement différent du reste du pays. Cette nouvelle vie  me redemande autant d’énergie et d’adaptation qu’il y a un an, pour faire face à toutes les surprises quotidiennes. La tête est encore baissée mais les yeux sont grands ouverts pour découvrir ce nouveau monde et j’espère bientôt, m’en émerveiller.

 A défaut de photos de Tananarive, une photo de cet été, à Marotandrano, havre de paix au milieu des rizières...

PS : Le facteur du Père Noël Malgache a une antenne en France, n'hésitez pas à le solliciter avant le 6 janvier chez :


Dominique et Catherine LAURENT
12, rue de l'Héronnière
44000 NANTES
tel: 02 40 73 92 03
port: 06 35 91 66 91

1 commentaire:

  1. Merci pour ce message !! ça fait plaisir d'avoir de tes nouvelles depuis le temps ! As-tu accès à internet régulièrement ou c'est plutot de façon aléatoire au gré des cyber café ?
    Bisous

    Amélie

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