Lundi dernier, je me
suis rendue au Centre d’Appareillage de Madagascar car me semelles
orthopédiques ne semblaient plus remplir leur fonction. Bien que déjà sensibles
quand j’étais fatiguée, mes jambes s’avéraient maintenant douloureuses. Ma
démarche devenait de plus en plus saccadée et les pavés irréguliers de
Tananarive n’amélioraient pas la situation. C’est donc résignée que je me suis dirigée
vers ce centre, à la recherche d’un podologue.
Comme il était
impossible de trouver de coordonnées téléphoniques, j’ai choisi de m’y
présenter directement à 8h du matin, en espérant prendre un rendez-vous et y
revenir plus tard. A l’accueil, une feuille scotchée au mur confirmait ma
supposition : les consultations ne se faisaient que sur rendez-vous. Je
m’adresse donc à l’employé pour savoir si des podologues sont disponibles
prochainement. Il commence par me faire un dossier puis me demande de me rendre
à la porte n°1, au fond du couloir. D’abord inquiète qu’il ait mal compris ma
demande, je suis ensuite surprise de lire « Chef d’établissement »
sur la porte à laquelle on me demande de frapper.
-« Hodio ? (Toc
Toc Toc)
- Mandroso !
(Entrez)
-Manao ahoana Tompoko
(Bonjour Monsieur)
-Mipetrapetra »
(Asseyez-vous)
Je suis reçue par un
vieil homme à lunettes, assis derrière un bureau impeccablement rangé, pas du
tout étonné de voir débarquer quelqu’un dans son bureau à l’improviste. Quelque
peu dubitative par rapport à la tournure que prenaient la situation, mais
toujours à la recherche d’un podologue, je décide de réitérer ma question. Il
me questionne alors sur les raisons de ma venue et sur l’origine de mon mal. Il
regarde mes semelles et commence son examen clinique.
Et à ce moment-là, je
réalise ce qui vient de se passer, sans même en avoir eu conscience. Parce que
je suis une vazaha, je viens de passer devant tous les malgaches qui
attendaient sur les bancs (et d’un) en obtenant une consultation avec le
directeur (et de deux), sans même avoir pris rendez-vous (et de trois). Trois
passe-droits d’un coup, c’est un peu fort.
Combien de temps les vazaha vont-ils encore être considérés comme supérieurs
aux malgaches ? Pourquoi n’osent-ils pas tourner la page de l’époque
coloniale et jouir pleinement de la liberté qu’ils ont acquise ? Pourquoi les vazaha vont-ils bénéficier d'un statut qui leur octroi des
droits au détriment du reste de la population ? Pourquoi restent-ils incontestés ?
Mais la consultation
continue.
-« Je viens de
refaire ces semelles en France mais il ne me semble pas que la correction soit
bonne parce que je me sens en déséquilibre ».
-« Oui, en effet,
au lieu de compenser votre déformation, ces semelles l’ont accentuée. Le
podologue qui les a faites s’est trompé et au lieu d’être renforcées à
l’intérieur, elles ont été consolidées à l’extérieur. »
Et na, enfin quelqu’un
qui ose parler clairement en exprimant une désapprobation ! Au moins un
équilibre de retrouvé !
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Le week-end passé, j’ai
été invité par les Fanilo (Guides malgache) à une opération de reboisement dans
leur centre de formation et de développement à Sadabe, sur la route
d’Anjozorobe. A une cinquantaine de kilomètres de la capitale, cette base
scoute est néanmoins difficilement accessible car il faut emprunter une piste terreuse
et très vallonnée pendant 2h après avoir quitté le goudron.
Il s’agissait d’un
projet financé par l’AMGE (Association Mondiale des Guides et Eclaireuses)
s’inscrivant dans un programme plus général de sensibilisation aux changements
climatiques. Le projet comportait un temps de formation des Guides et des
paysans des alentours, par des représentants du Ministère de l’Environnement et
des Forêts. Je découvrais le programme ainsi que ceux à qui il était adressé en
arrivant sur les lieux, avec les Fanilo. Spontanément, je me suis réjouie d’une
telle initiative, dans un pays où les paysans ont souvent des pratiques très
néfastes pour l’environnement sans n’en avoir aucune conscience. C’était bien
naïf de ma part.
Quel étonnement de voir
les Tananariviens du Ministère, vêtus à la dernière mode citadine, lancer un
groupe électrogène pour faire fonctionner l’ordinateur et le projecteur à
partir desquels ils ont réalisé leur présentation.
Et quelle présentation !
Un magnifique power point en français (à des paysans n’ayant suivi aucunes
instruction pour la plupart), sur l’effet de serre, le protocole de Kyoto (sic !),
la nécessité d’utiliser les transports en communs (sic !), et l’importance
de s’équiper de panneaux solaires pour sa consommation électrique personnelle
(sic !). Dans un amphithéâtre d’une fac française, j’aurais trouvé ça un
peu théorique, pas très pédagogique et très long. Ici, ça m’est apparu complètement
déplacé (à 15 000km des préoccupations de leur auditoire), et presque insultant
(parler de transport en commun à des gens ne se déplaçant qu’à pieds et dans un
village apercevant une voiture tous les 36 du mois) et tout à fait irrespectueux.
Je glisse une petite
question dans l’oreille à ma voisine Fanilo :
-« Fa, tsy mahay miteny frantsay izy ireo ? »
(Mais, ils ne savent pas parler français ces paysans ?)
-Tsy mahay, fa mijery ny sary ihany. (Non,
ils ne savent pas, ils regardent seulement les images)
-Fa nisy iray ihany.
(Mais il n’y en avait qu’une)
-Ya ! » (Oui
!)
Et si les malgaches commençaient par apprendre à se parler entre eux…
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Avant-hier, j’ai
présenté rapidement à Jean-Baptiste les documents que j’ai dessinés pour la
réalisation de la structure. N’ayant pas beaucoup d’expérience de ce genre de
dessins, je voulais m’assurer auprès de lui que toutes les informations dont il
avait besoin étaient bien présentes.
« -Oulala, il y a
beaucoup d’informations ici, me dit-il ». (Comprenez : « Je n’ai
jamais vu un tel document et je ne comprends pas à quoi ça va servir »)
Et il continue :
« -J’aurais aussi
besoin de savoir à quel endroit on enduit et à quel endroit on laisse les
briques apparentes sur les façades, parce que tu m’as dit qu’on allait faire
ça.
-Oui, mais ça ne
concerne pas directement la structure ?
-Non.
-Ah ! Parce que
sinon, pour les façades, les détails de pieds de façade, les réseaux
d’évacuations, les menuiseries, la
charpente, les garde-corps, la fosse septique, la jonction avec la terrasse,
les caniveaux, … il y a ce dossier-là.
-Ah ! ».
C’est avec des
« Ah ! » que l’on aperçoit tout le chemin qu’il nous reste à parcourir,
tous les deux !
Chaque jour, je prends
un petit peu plus la mesure des deux mondes si différents d’où nous venons tous
les deux.
Lui n’a jamais lu un
plan. Je viens de passer six ans à en dessiner.
Lui n’a jamais su ce
qu’il allait construire avant de l’avoir vu terminé. Je passe tout mon temps à
projeter, dans ma tête et sur le papier, les espaces que je lui demande de
réaliser.
Et bien, elles tiennent debout toutes ces petites maisons ! ;)
RépondreSupprimerInteressant !
RépondreSupprimerLe coup du groupe électrogène avec un power point c'est complètement dingue !
C'était des Malgaches qui avaient préparé ça ?!
C'est vraiment génial! Les expériences que tu racontes (je n'ai pu qu'exploser de rire en lisant l'article sur le présentation power point en français sur l'écologie et les transports en commun au milieu de la campagne malgache), ton style et les réflexion que tu fais sur ce que tu vis, le tout est encore et toujours incroyable (sans oublier les paysage). Profite bien chère Delphine et je conseillerai le livre à tout le monde quand tu auras tout compiler dans un futur best seller!
RépondreSupprimerGros bisous