lundi 24 février 2014

Déroutant…

Des petites choses du quotidien qui font réfléchir

Lundi dernier, je me suis rendue au Centre d’Appareillage de Madagascar car me semelles orthopédiques ne semblaient plus remplir leur fonction. Bien que déjà sensibles quand j’étais fatiguée, mes jambes s’avéraient maintenant douloureuses. Ma démarche devenait de plus en plus saccadée et les pavés irréguliers de Tananarive n’amélioraient pas la situation. C’est donc résignée que je me suis dirigée vers ce centre, à la recherche d’un podologue.
Comme il était impossible de trouver de coordonnées téléphoniques, j’ai choisi de m’y présenter directement à 8h du matin, en espérant prendre un rendez-vous et y revenir plus tard. A l’accueil, une feuille scotchée au mur confirmait ma supposition : les consultations ne se faisaient que sur rendez-vous. Je m’adresse donc à l’employé pour savoir si des podologues sont disponibles prochainement. Il commence par me faire un dossier puis me demande de me rendre à la porte n°1, au fond du couloir. D’abord inquiète qu’il ait mal compris ma demande, je suis ensuite surprise de lire « Chef d’établissement » sur la porte à laquelle on me demande de frapper.
-« Hodio ? (Toc Toc Toc)
- Mandroso !  (Entrez)
-Manao ahoana Tompoko (Bonjour Monsieur)
-Mipetrapetra » (Asseyez-vous)
Je suis reçue par un vieil homme à lunettes, assis derrière un bureau impeccablement rangé, pas du tout étonné de voir débarquer quelqu’un dans son bureau à l’improviste. Quelque peu dubitative par rapport à la tournure que prenaient la situation, mais toujours à la recherche d’un podologue, je décide de réitérer ma question. Il me questionne alors sur les raisons de ma venue et sur l’origine de mon mal. Il regarde mes semelles et commence son examen clinique.
Et à ce moment-là, je réalise ce qui vient de se passer, sans même en avoir eu conscience. Parce que je suis une vazaha, je viens de passer devant tous les malgaches qui attendaient sur les bancs (et d’un) en obtenant une consultation avec le directeur (et de deux), sans même avoir pris rendez-vous (et de trois). Trois passe-droits d’un coup, c’est un peu fort.

Combien de temps les vazaha vont-ils encore être considérés comme supérieurs aux malgaches ? Pourquoi n’osent-ils pas tourner la page de l’époque coloniale et jouir pleinement de la liberté qu’ils ont acquise ? Pourquoi les vazaha vont-ils bénéficier d'un statut qui leur octroi des droits au détriment du reste de la population ? Pourquoi restent-ils incontestés ?

Mais la consultation continue.
-« Je viens de refaire ces semelles en France mais il ne me semble pas que la correction soit bonne parce que je me sens en déséquilibre ».
-« Oui, en effet, au lieu de compenser votre déformation, ces semelles l’ont accentuée. Le podologue qui les a faites s’est trompé et au lieu d’être renforcées à l’intérieur, elles ont été consolidées à l’extérieur. »

Et na, enfin quelqu’un qui ose parler clairement en exprimant une désapprobation ! Au moins un équilibre de retrouvé !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le week-end passé, j’ai été invité par les Fanilo (Guides malgache) à une opération de reboisement dans leur centre de formation et de développement à Sadabe, sur la route d’Anjozorobe. A une cinquantaine de kilomètres de la capitale, cette base scoute est néanmoins difficilement accessible car il faut emprunter une piste terreuse et très vallonnée pendant 2h après avoir quitté le goudron.
Il s’agissait d’un projet financé par l’AMGE (Association Mondiale des Guides et Eclaireuses) s’inscrivant dans un programme plus général de sensibilisation aux changements climatiques. Le projet comportait un temps de formation des Guides et des paysans des alentours, par des représentants du Ministère de l’Environnement et des Forêts. Je découvrais le programme ainsi que ceux à qui il était adressé en arrivant sur les lieux, avec les Fanilo. Spontanément, je me suis réjouie d’une telle initiative, dans un pays où les paysans ont souvent des pratiques très néfastes pour l’environnement sans n’en avoir aucune conscience. C’était bien naïf de ma part.
Quel étonnement de voir les Tananariviens du Ministère, vêtus à la dernière mode citadine, lancer un groupe électrogène pour faire fonctionner l’ordinateur et le projecteur à partir desquels ils ont réalisé leur présentation.
Et quelle présentation ! Un magnifique power point en français (à des paysans n’ayant suivi aucunes instruction pour la plupart), sur l’effet de serre, le protocole de Kyoto (sic !), la nécessité d’utiliser les transports en communs (sic !), et l’importance de s’équiper de panneaux solaires pour sa consommation électrique personnelle (sic !). Dans un amphithéâtre d’une fac française, j’aurais trouvé ça un peu théorique, pas très pédagogique et très long. Ici, ça m’est apparu complètement déplacé (à 15 000km des préoccupations de leur auditoire), et presque insultant (parler de transport en commun à des gens ne se déplaçant qu’à pieds et dans un village apercevant une voiture tous les 36 du mois) et tout à fait irrespectueux.

Je glisse une petite question dans l’oreille à ma voisine Fanilo :
-« Fa, tsy mahay miteny frantsay izy ireo ? » (Mais, ils ne savent pas parler français ces paysans ?)
-Tsy mahay, fa mijery ny sary ihany. (Non, ils ne savent pas, ils regardent seulement les images)
-Fa nisy iray ihany. (Mais il n’y en avait qu’une)
-Ya ! » (Oui !)

 Et si les malgaches commençaient par apprendre à se parler entre eux…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Avant-hier, j’ai présenté rapidement à Jean-Baptiste les documents que j’ai dessinés pour la réalisation de la structure. N’ayant pas beaucoup d’expérience de ce genre de dessins, je voulais m’assurer auprès de lui que toutes les informations dont il avait besoin étaient bien présentes.
« -Oulala, il y a beaucoup d’informations ici, me dit-il ». (Comprenez : « Je n’ai jamais vu un tel document et je ne comprends pas à quoi ça va servir »)
Et il continue :
« -J’aurais aussi besoin de savoir à quel endroit on enduit et à quel endroit on laisse les briques apparentes sur les façades, parce que tu m’as dit qu’on allait faire ça.
-Oui, mais ça ne concerne pas directement la structure ?
-Non.
-Ah ! Parce que sinon, pour les façades, les détails de pieds de façade, les réseaux d’évacuations,  les menuiseries, la charpente, les garde-corps, la fosse septique, la jonction avec la terrasse, les caniveaux, … il y a ce dossier-là.
-Ah ! ».

C’est avec des « Ah ! » que l’on aperçoit tout le chemin qu’il nous reste à parcourir, tous les deux !
Chaque jour, je prends un petit peu plus la mesure des deux mondes si différents d’où nous venons tous les deux.
Lui n’a jamais lu un plan. Je viens de passer six ans à en dessiner.
Lui n’a jamais su ce qu’il allait construire avant de l’avoir vu terminé. Je passe tout mon temps à projeter, dans ma tête et sur le papier, les espaces que je lui demande de réaliser.

Ce bâtiment, que nous allons bâtir ensemble, nous fera certainement grandir autant l’un que l’autre.

Depuis ma chambre...

3 commentaires:

  1. Et bien, elles tiennent debout toutes ces petites maisons ! ;)

    RépondreSupprimer
  2. Interessant !
    Le coup du groupe électrogène avec un power point c'est complètement dingue !
    C'était des Malgaches qui avaient préparé ça ?!

    RépondreSupprimer
  3. C'est vraiment génial! Les expériences que tu racontes (je n'ai pu qu'exploser de rire en lisant l'article sur le présentation power point en français sur l'écologie et les transports en commun au milieu de la campagne malgache), ton style et les réflexion que tu fais sur ce que tu vis, le tout est encore et toujours incroyable (sans oublier les paysage). Profite bien chère Delphine et je conseillerai le livre à tout le monde quand tu auras tout compiler dans un futur best seller!
    Gros bisous

    RépondreSupprimer