Un week-end à
Marovoay, ça commence comme ça :
-Manao
aohana ianao ! Tonga soa any
Maovoay ! Tsy tonga iana lasa roa herinandro… ?
(Bonjour toi ! Bienvenue
à Marovoay ! Alors, tu n’es pas venue pendant deux semaines… ?)
-Misaotra
betsaka. Ewa, te-hiala sasatra kely any Mahajanga satria miasa mafy aho izaho.
(Merci beaucoup ! Oui,
j’avais besoin de me reposer un peu à Mahajanga parce que je travaille dur en
ce moment.)
-Ahoana avy
eo eto ianao ?
(Comment es-tu arrivée
ici ?)
-Miaraka ny
taxi-brousse. Reraka be aho ! Fa hiverina hiaraka ny Ford sy hiaraka Lala
sy Fano amin’ny Alatsinahiny maraina.
(Avec le taxi-brousse.
Je suis très fatiguée du voyage. Et je rentrerais avec le Ford avec Lala et
Fano lundi matin)
-Simba ny Ford. Tokony mbola handeha hiaraka ny taxi brousse.
(Le Ford est cassé. Tu
devras rentrer encore avec le taxi-brousse)
-Foana
simba ny tomobile eto ! Tsy maninona ! Handeha mody. Amin’ny
manaraka !
(Les voitures sont
toujours cassées ici ! Tant pis ! Je vais à la maison. A bientôt !)
2 mètres plus loin…
-Tonga soa Delphine ! Efa ela tsy hitanao aho.
(BienvenueDelphine !
Ca fait longtemps que je ne t’ai pas vue !)
-Ewa,
fantatro aho fa ratsy be ny lalana mankany amin’ny Marovoay !
(Oui, je sais, mais la
route qui mène à Marovoay est très mauvaise !)
On se serre les mains, on
s’embrasse, on se sourit ! Tout le monde est content de se
retrouver !
Après une semaine difficile à
l’évêché, mon cœur se remplit soudain de toute la joie qui lui manquait !
Victoire !
Et pourtant, il faut y venir à
Marovoay !
Cette fois-ci personne ne faisait
la route vendredi après-midi donc j’ai pris un taxi-brousse. Par chance, il
restait une place (ou plutôt la place pour la moitié d’une de mes fesses, c’est
dire !) dans un taxi qui partait 3 minutes plus tard et j’ai évité les 2h
d’attente habituelles avant chaque départ.
Et nous voilà partis pour 2h30 de
route, ponctuées par les éternels arrêts pour y déposer, le sac de riz, le
meuble en bois ou la chèvre du voisin, de la grand-mère ou de l’ami.
Le taxi-brousse est toujours une
épreuve parce que tout le monde se transforme en sardines brinquebalées de
droite à gauche à chaque virage. Mais cette route est tellement belle qu’il
suffit de regarder par la fenêtre pour s’échapper de la promiscuité suffocante à
l’intérieur pour se connecter directement avec le Grand ! Cette route parcours des
immensités qu’il est difficile d’englober d’un seul regard. Tantôt en hauteur,
tantôt au fond du vallon, la route franchit des monts, traverse des rivières,
surplombe des vallées. Et nous avec elle ! L’horizon se déploie à perte de
vue pour le plus grand plaisir de nos yeux. Les étendues sauvages se sont
recouvertes d’une jolie teinte verte depuis que les pluies ont commencées. Le
travail dans les rizières a maintenant commencé et on aperçoit déjà les pousses
vertes claires, très régulières, qui annoncent le résultat de nombreux jours de
labourage et de piquage.
Une fois à Marovoay, il suffit de
pousser le portail de la mission pour admirer l’œuvre du Père Célestin et des
frères séminaristes. C’est très peu fréquent de trouver ici des espaces verts travaillés
avec soin et entretenus avec amour ! Et pourtant, il suffit d’un exemple
pour nous montrer que c’est possible et qu’ils ont, eux aussi, le sens du Beau. Chaque petit chemin est embelli
de gravillons, rehaussé d’une bordure, accompagné d’un muret. Ce week-end, les
séminaristes travaillaient à la réalisation d’un socle pour soutenir la statue
de St Joseph qui sera prochainement installée à l’angle du carré gazonné. Cela
nous paraît évident, pour nous européen, de concevoir, de réaliser et d’entretenir
notre cadre de vie. L’appropriation et l’installation d’un lieu nécessite une certaine
projection dans le futur. Et ce n’est pas dans leur culture. Ce qui prime c’est
le moment présent, le temporaire, les réalisations bricolées avec tout ce qu’ils
ont sous la main. C’est plein d’astuces et ça fonctionne généralement très
bien, mais on obtient rarement des résultats qui nous toucheront par leur beauté.
Les petits « havre de paix » comme le jardin de la mission sont donc doublement
appréciés !
La mission des Pères Carmes
compte deux prêtres : le Père Moïse et le Père Célestin, six séminaristes :
Roger, Christian, Antoine, Olivier, Toloc, et le dernier dont je ne me souviens
plus du prénom (zut !) et une volontaire italienne, Stella.
Les séminaristes ont différentes
tâches pendant la semaine et sont chargés, le week-end, d’apporter les hosties
consacrées et de faire de la pastorale dans des églises un peu éloignées qui n’ont
pas de prêtres. C’est comme ça que le premier week-end, je suis allée avec
Frère Roger à l’église de Soledanana. Nous y sommes allés tous les deux en
mobylette, lui conduisant et moi à l’arrière. Au bout de quelques centaines de
mètres, le deux-roues s’est embourbé dans le sable parce que nous étions trop
lourds. J’ai dû descendre et continuer un bout de chemin à pieds avant de le
rejoindre plus loin. Roger était complètement désemparé. Lui qui voulait me
montrer son quotidien sous son plus beau jour se retrouvais obligé de faillir à
ce qu’il considérait comme la première des politesses : conduire son
invitée sans encombre jusqu’à destination. Alors que moi, j’étais morte de rire :
me retrouver à courir derrière une mobylette, dans le sable, à 5h30 du matin
(la messe est à 6h), relève complètement du comique. Deux semaines plus tard on en rigolait
encore !
Le week-end suivant, c’est Toloc
que j’ai accompagné. Nous devions prendre la pirogue mais il n’y en avait pas
de disponible au moment où nous avons atteint le bord de la rivière. Nous étions
un peu en retard donc nous avons décidé d’aller au-devant de l’embarcation pour
gagner du temps. Il avait plu et il pleuvait encore, si bien que tous les
abords de la rivière étaient très gadoueux. Le premier réflexe fut de se
déchausser. Et ensuite commença le parcours du combattant ! C’était un
mixte entre un parcours santé, un parcours d’obstacles pendant des olympiades
et une épreuve de Koh-Lanta ! Marcher en équilibre sur des troncs
renversés au-dessus d’un petit bras de la rivière, traverser la rivière avec de
la boue jusqu’au genou en essayant de ne pas s’enliser, se frayer un chemin au
milieu des plantations, et tout ça, ne l’oublions pas, pour aller à la messe !
Tout s’est bien passé grâce à l’aide bienveillante de Toloc qui, encore une
fois, était très gêné de me voir dans cette situation improbable : non, je
n’ai pas de pieds antidérapants et anti chocs comme tous les malgaches, et oui,
ça a amusé tout le monde de voir une vazaha se confronter à leurs conditions de
vie !
Stella est la seule présence
féminine dans toute l’équipe. Mais elle ne se laisse pas malmener pour autant !
Elle a appris le malgache à une vitesse fulgurante et plaisante maintenant
allègrement avec tout le monde. Nous communiquons toutes les deux en anglais,
même si ces derniers temps, nous avons réussi à tenir quelques conversations en
malgache, ce qui nous permet d’accueillir plus de monde dans nos discussions, ou
de nous joindre aux autres ! Avec Stella nous nous comprenons bien au-delà
des mots; souvent un simple regard nous suffit pour échanger bien plus. Nos missions sont bien différentes, nos quotidiens
aussi. Mais pourtant, il me semble que nous sommes toutes les deux venues pour
les mêmes raisons. Nous sommes toutes les deux, tour à tour, surprises, révoltées,
incomprises, indignées, amusées, touchées.
Et c’est Bon de pouvoir le
partager avec quelqu’un qui a grandi dans le même monde que moi, bien différent
de celui-ci.
Enfin, un week-end à Marovoay ne
serait pas complet sans un petit tour par le dispensaire. Je vous ai déjà parlé
des enfants qui souffrent de malnutrition ou dont les mères n'ont plus ou pas assez de lait pour les nourrir et auxquels nous distribuons du lait et des compléments
alimentaires.
Il y a maintenant un mois, j’ai
pu assister à un accouchement. La sage-femme, Misoa, était toute seule et
souhaitait à la fois de l’aide et une présence amicale pour terminer la
journée. J’étais très enthousiasmée par l’idée de voir naître un petit bébé et
de partager la joie de la naissance avec la mère autant que j’appréhendais de
la voir souffrir pendant l’accouchement.
En réalité, il en fut tout
autrement ! Au moment clé, Misoa m’a demandé de stimuler le bébé en
chatouillant le ventre de la mère. Ce que j’ai fait. En ensuite, en moins d’une
minute, le bébé est sorti très rapidement, comme s’il descendait d’un toboggan !
Je n’ai même pas eu le temps de me rendre compte de ce qui se passait qu’il
était déjà là ! La mère n’avait pas crié, à peine serré les dents ou
froncé les sourcils. J'étais extrêmement étonnée du fait qu'elle n'exprime pas du tout la douleur qu'elle avait pu ressentir. Naïvement, j'ai d'abord cru qu'elle n'avait pas eu mal, qu'il s'était agi d'une simple formalité. Ensuite, après en avoir parlé à d'autres, j'ai compris qu'ils avaient un rapport à la douleur très différent du notre. La douleur fait partie de leur quotidien, ils vivent avec et son obligé de la supporter. Ils préfèrent donc la taire, peut-être pour la rendre moins présente dans leur esprit.
Une fois le bébé lavé et habillé, la mère n'a même pas cherché à prendre sa fille, ni même à savoir quel était le sexe de l'enfant. Ce n'est plus tard, une fois que nous l'avons accompagnée dans sa chambre, que j'ai saisi un regard tendre entre la mère et sa fille. Pourquoi n'était-elle pas plus enthousiaste ? Pourquoi semblait-elle si mal à l'aise quand nous lui avons donné sa fille dans ces bras ? Une naissance ou une mort ont l'air d'avoir moins d'importance que chez nous. Ils font preuve d'une plus grande acceptation de ce qui se présente, mais sans extériorisation de leurs sentiments. Le sens de la vie est-il le même ici ? Beaucoup de questions restent encore en suspend ! Ici, je rencontre le Vrai de manière parfois un peu brutale. Mais ça m'oblige à réfléchir, ouvrir mes yeux sur des réalités nouvelles, ne pas rester camper sur des a-priori ou des stéréotypes.
Vous l'aurez compris, Marovay c'est un vrai coup de cœur... et je m'y sens chez moi :) !
PS : Je sais que vous êtes nombreux à lire mes articles
(mon petit doigt me dit tout !) et je vous en remercie vivement, mais assez peu à y répondre. N’hésitez
pas à réagir sous forme de commentaires, ou de mails si ne préférez pas être lu
de tous ! Merci J !