dimanche 24 février 2013

Le Grand – Le Beau – Le Bon - Le Vrai



Un week-end à Marovoay, ça commence comme ça :

-Manao aohana ianao !  Tonga soa any Maovoay ! Tsy tonga iana lasa roa herinandro… ?
(Bonjour toi ! Bienvenue à Marovoay ! Alors, tu n’es pas venue pendant deux semaines… ?)
-Misaotra betsaka. Ewa, te-hiala sasatra kely any Mahajanga satria miasa mafy aho izaho.
(Merci beaucoup ! Oui, j’avais besoin de me reposer un peu à Mahajanga parce que je travaille dur en ce moment.)
-Ahoana avy eo eto ianao ?
(Comment es-tu arrivée ici ?)
-Miaraka ny taxi-brousse. Reraka be aho ! Fa hiverina hiaraka ny Ford sy hiaraka Lala sy Fano amin’ny Alatsinahiny maraina.
(Avec le taxi-brousse. Je suis très fatiguée du voyage. Et je rentrerais avec le Ford avec Lala et Fano lundi matin)
-Simba ny Ford. Tokony mbola handeha hiaraka ny taxi brousse.
(Le Ford est cassé. Tu devras rentrer encore avec le taxi-brousse)
-Foana simba ny tomobile eto ! Tsy maninona ! Handeha mody. Amin’ny manaraka !
(Les voitures sont toujours cassées ici ! Tant pis ! Je vais à la maison. A bientôt !)

2 mètres plus loin…

-Tonga soa Delphine ! Efa ela tsy hitanao aho.
(BienvenueDelphine ! Ca fait longtemps que je ne t’ai pas vue !)
-Ewa, fantatro aho fa ratsy be ny lalana mankany amin’ny Marovoay !
(Oui, je sais, mais la route qui mène à Marovoay est très mauvaise !)

On se serre les mains, on s’embrasse, on se sourit ! Tout le monde est content de se retrouver !
Après une semaine difficile à l’évêché, mon cœur se remplit soudain de toute la joie qui lui manquait ! Victoire !

Et pourtant, il faut y venir à Marovoay !
Cette fois-ci personne ne faisait la route vendredi après-midi donc j’ai pris un taxi-brousse. Par chance, il restait une place (ou plutôt la place pour la moitié d’une de mes fesses, c’est dire !) dans un taxi qui partait 3 minutes plus tard et j’ai évité les 2h d’attente habituelles avant chaque départ.
Et nous voilà partis pour 2h30 de route, ponctuées par les éternels arrêts pour y déposer, le sac de riz, le meuble en bois ou la chèvre du voisin, de la grand-mère ou de l’ami.
Le taxi-brousse est toujours une épreuve parce que tout le monde se transforme en sardines brinquebalées de droite à gauche à chaque virage. Mais cette route est tellement belle qu’il suffit de regarder par la fenêtre pour s’échapper de la promiscuité suffocante à l’intérieur pour se connecter directement avec le Grand ! Cette route parcours des immensités qu’il est difficile d’englober d’un seul regard. Tantôt en hauteur, tantôt au fond du vallon, la route franchit des monts, traverse des rivières, surplombe des vallées. Et nous avec elle ! L’horizon se déploie à perte de vue pour le plus grand plaisir de nos yeux. Les étendues sauvages se sont recouvertes d’une jolie teinte verte depuis que les pluies ont commencées. Le travail dans les rizières a maintenant commencé et on aperçoit déjà les pousses vertes claires, très régulières, qui annoncent le résultat de nombreux jours de labourage et de piquage.






Une fois à Marovoay, il suffit de pousser le portail de la mission pour admirer l’œuvre du Père Célestin et des frères séminaristes. C’est très peu fréquent de trouver ici des espaces verts travaillés avec soin et entretenus avec amour ! Et pourtant, il suffit d’un exemple pour nous montrer que c’est possible et qu’ils ont, eux aussi, le sens du Beau. Chaque petit chemin est embelli de gravillons, rehaussé d’une bordure, accompagné d’un muret. Ce week-end, les séminaristes travaillaient à la réalisation d’un socle pour soutenir la statue de St Joseph qui sera prochainement installée à l’angle du carré gazonné. Cela nous paraît évident, pour nous européen, de concevoir, de réaliser et d’entretenir notre cadre de vie. L’appropriation et l’installation d’un lieu nécessite une certaine projection dans le futur. Et ce n’est pas dans leur culture. Ce qui prime c’est le moment présent, le temporaire, les réalisations bricolées avec tout ce qu’ils ont sous la main. C’est plein d’astuces et ça fonctionne généralement très bien, mais on obtient rarement des résultats qui nous toucheront par leur beauté. Les petits « havre de paix » comme le jardin de la mission sont donc doublement appréciés !




La promenade dans le marché fait également partie des incontournables à Marovoay. Chaque zone a sa spécialité : à l'entrée on trouve les vendeuse de riz,  à la sortie les vendeuses de poules et de canards (vivants !). Au milieu on croisera aussi bien des vendeuses de bananes que des des marchands de d'outils pour les champs ou des revendeurs de médicaments (tablette par tablette, sans la boîte ni la notice explicative !).





La mission des Pères Carmes compte deux prêtres : le Père Moïse et le Père Célestin, six séminaristes : Roger, Christian, Antoine, Olivier, Toloc, et le dernier dont je ne me souviens plus du prénom (zut !) et une volontaire italienne, Stella.
Les séminaristes ont différentes tâches pendant la semaine et sont chargés, le week-end, d’apporter les hosties consacrées et de faire de la pastorale dans des églises un peu éloignées qui n’ont pas de prêtres. C’est comme ça que le premier week-end, je suis allée avec Frère Roger à l’église de Soledanana. Nous y sommes allés tous les deux en mobylette, lui conduisant et moi à l’arrière. Au bout de quelques centaines de mètres, le deux-roues s’est embourbé dans le sable parce que nous étions trop lourds. J’ai dû descendre et continuer un bout de chemin à pieds avant de le rejoindre plus loin. Roger était complètement désemparé. Lui qui voulait me montrer son quotidien sous son plus beau jour se retrouvais obligé de faillir à ce qu’il considérait comme la première des politesses : conduire son invitée sans encombre jusqu’à destination. Alors que moi, j’étais morte de rire : me retrouver à courir derrière une mobylette, dans le sable, à 5h30 du matin (la messe est à 6h), relève complètement du  comique. Deux semaines plus tard on en rigolait encore !
Le week-end suivant, c’est Toloc que j’ai accompagné. Nous devions prendre la pirogue mais il n’y en avait pas de disponible au moment où nous avons atteint le bord de la rivière. Nous étions un peu en retard donc nous avons décidé d’aller au-devant de l’embarcation pour gagner du temps. Il avait plu et il pleuvait encore, si bien que tous les abords de la rivière étaient très gadoueux. Le premier réflexe fut de se déchausser. Et ensuite commença le parcours du combattant ! C’était un mixte entre un parcours santé, un parcours d’obstacles pendant des olympiades et une épreuve de Koh-Lanta ! Marcher en équilibre sur des troncs renversés au-dessus d’un petit bras de la rivière, traverser la rivière avec de la boue jusqu’au genou en essayant de ne pas s’enliser, se frayer un chemin au milieu des plantations, et tout ça, ne l’oublions pas, pour aller à la messe ! Tout s’est bien passé grâce à l’aide bienveillante de Toloc qui, encore une fois, était très gêné de me voir dans cette situation improbable : non, je n’ai pas de pieds antidérapants et anti chocs comme tous les malgaches, et oui, ça a amusé tout le monde de voir une vazaha se confronter à leurs conditions de vie !

Stella est la seule présence féminine dans toute l’équipe. Mais elle ne se laisse pas malmener pour autant ! Elle a appris le malgache à une vitesse fulgurante et plaisante maintenant allègrement avec tout le monde. Nous communiquons toutes les deux en anglais, même si ces derniers temps, nous avons réussi à tenir quelques conversations en malgache, ce qui nous permet d’accueillir plus de monde dans nos discussions, ou de nous joindre aux autres ! Avec Stella nous nous comprenons bien au-delà des mots; souvent un simple regard nous suffit pour échanger bien plus.  Nos missions sont bien différentes, nos quotidiens aussi. Mais pourtant, il me semble que nous sommes toutes les deux venues pour les mêmes raisons. Nous sommes toutes les deux, tour à tour, surprises, révoltées, incomprises, indignées, amusées, touchées.
Et c’est Bon de pouvoir le partager avec quelqu’un qui a grandi dans le même monde que moi, bien différent de celui-ci.


Enfin, un week-end à Marovoay ne serait pas complet sans un petit tour par le dispensaire. Je vous ai déjà parlé des enfants qui souffrent de malnutrition ou dont les mères n'ont plus ou pas assez de lait pour les nourrir et auxquels  nous distribuons du lait et des compléments alimentaires.




Il y a maintenant un mois, j’ai pu assister à un accouchement. La sage-femme, Misoa, était toute seule et souhaitait à la fois de l’aide et une présence amicale pour terminer la journée. J’étais très enthousiasmée par l’idée de voir naître un petit bébé et de partager la joie de la naissance avec la mère autant que j’appréhendais de la voir souffrir pendant l’accouchement.
En réalité, il en fut tout autrement ! Au moment clé, Misoa m’a demandé de stimuler le bébé en chatouillant le ventre de la mère. Ce que j’ai fait. En ensuite, en moins d’une minute, le bébé est sorti très rapidement, comme s’il descendait d’un toboggan ! Je n’ai même pas eu le temps de me rendre compte de ce qui se passait qu’il était déjà là ! La mère n’avait pas crié, à peine serré les dents ou froncé les sourcils. J'étais extrêmement étonnée du fait qu'elle n'exprime pas du tout la douleur qu'elle avait pu ressentir. Naïvement, j'ai d'abord cru qu'elle n'avait pas eu mal, qu'il s'était agi d'une simple formalité. Ensuite, après en avoir parlé à d'autres, j'ai compris qu'ils avaient un rapport à la douleur très différent du notre. La douleur fait partie de leur quotidien, ils vivent avec et son obligé de la supporter. Ils préfèrent donc la taire, peut-être pour la rendre moins présente dans leur esprit.
Une fois le bébé lavé et habillé, la mère n'a même pas cherché à prendre sa fille, ni même à savoir quel était le sexe de l'enfant. Ce n'est plus tard, une fois que nous l'avons accompagnée dans sa chambre, que j'ai saisi un regard tendre entre la mère et sa fille. Pourquoi n'était-elle pas plus enthousiaste ?  Pourquoi semblait-elle si mal à l'aise quand nous lui avons donné sa fille dans ces bras ? Une naissance ou une mort ont l'air d'avoir moins d'importance que chez nous. Ils font preuve d'une plus grande acceptation de ce qui se présente, mais sans extériorisation de leurs sentiments. Le sens de la vie est-il le même ici ? Beaucoup de questions restent encore en suspend ! Ici, je rencontre le Vrai de manière parfois un peu brutale. Mais ça m'oblige à réfléchir, ouvrir mes yeux sur des réalités nouvelles, ne pas rester camper sur des a-priori ou des stéréotypes.


Vous l'aurez compris, Marovay c'est un vrai coup de cœur... et je m'y sens chez moi  :) !



PS : Je sais  que vous êtes nombreux à lire mes articles (mon petit doigt me dit tout !) et je vous en remercie vivement, mais assez peu à y répondre. N’hésitez pas à réagir sous forme de commentaires, ou de mails si ne préférez pas être lu de tous ! Merci J !

7 commentaires:

  1. trop contente de te lire chaque fois ici tout va bien
    après la vague Valla , j'ai la vague Cailloux tout se passe à merveille
    nous sommes sous la neige mais ceux qui sont en montagne(les Valla au Chinaillon) sont ravis
    c'est une année extraordinaire car neige légère abondante et froid la nuit donc se conserve très bien
    je pense souvent à toi et t'écrirai sur mail j'embrasse très tendrement
    bonne maman

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. C'est bon de voyager grâce à tes mots et tes photos.
    Ce qui me marque le plus : Ici en France, nos combats sont de se lever le dimanche matin, d'écourter la grâce matinée, de décliner une invitation amicale pour un brunch, d'affronter les températures hivernales... bref, de faire preuve d'un peu de volonté pour aller partager le repas du Seigneur.
    Mais là, on peut dire que tu luttes physiquement et avec ton corps pour aller à la messe. C'est drôle, pour sûr mais je trouve ça aussi très fort symboliquement. Vivre la foi et les épreuves dans son corps, ça réveille je pense?!
    J'en profite pour te partager un mot du Père Miguel à la cérémonie de nos fiançailles:
    Un chrétien ne va pas à la messe par devoir, il y va par amour. Par ce qu'amoureux du Christ, il court pour le retrouver. Parce qu'il ne peut imaginer sa vie sans lui.
    A méditer... :)

    Céline, ta fan number one!!!
    PS: super la dernière photo. Ma... Que! Yoli Yoli!

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  4. hey sister !!

    tu nous fais voyager avec tes photos =) ici le soleil est présent depuis 2 jours avec un grand ciel bleu ! qu'est ce que ça fait du bien cette lumière, quand je sors du métro je suis éblouie c'est génial !!
    je donne l'adresse de ton blog à des amis en génie civil, ils ont tous plus admiratifs les uns que les autre en voyant ton boulot =) tu fais un boulot de ouf, un boulot qui pourrai être abattu par une dizaine de personne ! donc chapeau bas ! et n'hésite pas à me demander de l'aide, ce n'est pas ce semestre que je vais avoir le plus de travail je pense ^^

    j'appuie le commentaire de Céline, ta dernière photo est superbe, elles le sont toutes mais ça fait encore plus plaisir de te voir toi ! =)

    gros bisous

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  5. Merci pour ce blog, tes photos sont très réussie et tes réflexions intéressantes et agréables à lire !
    Bonne continuation !

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  6. Coucou !

    Merci pour cet article !
    J'adore te lire sur ton blog. Et je continuerai à te suivre malgré ma reprise de boulot...

    Nous sommes rentrés de Courchevel dimanche soir. Nous avons passé une très bonne semaine avec Papa, Maman, Sylvaine et Pierre Etienne. Ceux-ci ont eu leur 1ere étoile avec brio !
    Plein de bisous
    Amélie

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  7. J'habite à Marovoay et j'y est déjà
    Je connais certaines personnes sur les photos. J'y reconnais facilement Raïssa, la fille d'une amie de ma femme (Mme Misoa du dispensaire "Dadatoa NINO").
    Cet article m'intéresse car il décrit bien la dure réalité que nous vivons au quotidien ici à Marovoay, parfois avec humour.
    Continuer à écrire! et bon courage!
    Faly de Marovoay : rakotomahafalisaona@gmail.com

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