Difficile d’imaginer, avant de
partir, qu’un monde si différent pouvait exister. C’est un peu comme si l’on
débarque sur une autre planète dans laquelle il faut tout réapprendre : la
langue, les codes qui régissent tous les rapports humains, l’environnement, les
habitudes alimentaires, le rythme de vie. Sacrée remise en question de certaines
de nos habitudes européennes !
Pendant les premières
semaines, tous mes sens étaient sollicités par de nouvelles sensations, de
nouvelles odeurs, de nouvelles scènes inattendues. Tout déplacement, même le
plus ordinaire, donnait lieu à une expérience fabuleuse : prendre un bus et se
retrouver à 6 sur une banquette de 3 personnes, se faire réveiller par les
odeurs des étalages de viande crue du marché à 7h30 du matin, être invitée à
déjeuner dans la famille d’un séminariste dans une petite maison en tôle au
confort rudimentaire, explorer les quartiers aux alentours du chantier et y
découvrir des habitations construites avec des matériaux ayant déjà vécues
plusieurs vies mais dont les occupants ne négligeaient pas l’entretien.
Comment
font-ils pour vivre comme ça ? Sans eau courante, sans électricité, à même
le sol, au milieu des déchets, des animaux et de la poussière. Ces questions
traversèrent mon esprit pendant plusieurs jours durant lesquels des envies de
tout changer suivirent mon étonnement initial. Ranger les poules dans leur
poulailler, les chèvres dans leur enclos et les zébus dans leurs pâturages ;
débarrasser la ville de tous les amoncellements d’ordures qui s’éparpillent le
long des rues ; goudronner les chemins pierreux et reboucher les trous des
routes abîmées ; balayer les trottoirs, repeindre les façades et réparer
les ruines pour enlever cette teinte grisâtre qui me semblait recouvrir toute
la ville ; changer les ampoules grillées des lampadaires, peindre des
passages pour piétons et équiper les charrettes à zébus de clignotants ! Ces
désirs irrépressibles et inavouables n’étaient établis que sur mes habitudes d’occidentale
et n’avaient donc aucun fondement ici. Et les malgaches me le prouvait tous les
jours par leurs sourires !
Puisque je
suis là pour deux ans, il va me falloir, moi aussi, apprendre à vivre comme ça.
Accepter ce combat intérieur pour le laisser s’évanouir (non, je ne suis pas là
pour tout changer mais pour changer moi-même !). Accepter les situations
comme elles se présentent et non pas comme je voudrais qu’elles soient. Oublier
les belles avenues plantées de Paris et trouver la beauté dans l’inventivité et
la simplicité avec lesquels tout problème trouve sa solution. Renoncer à toutes
les idées préconçues qui m’empêchent de percevoir le charme de cet
environnement. Transformer mon regard en modifiant le filtre à travers lequel
mes yeux ont grandi pour comprendre celui à travers lequel les malgaches
regardent leur pays. Tout un programme !
Le renoncement
à soi-même est un combat de tous les jours. C’est pourtant l’état d’esprit
indispensable pour admettre que, malgré toute la volonté et l’énergie que j’investis
dans mon travail, il m’est très difficile de comprendre les situations qui se
présentent à moi. Pourquoi allons-nous acheter des aciers pour la construction
chez un fabricant de savon ? Pourquoi constituons-nous un dossier de permis
de construire alors que le chantier est déjà commencé ? Pourquoi les
travaux ont-ils commencé alors que le budget de la construction n’est pas
rassemblé ? Pourquoi les ouvriers travaillent-ils 12h par jours sous un
soleil écrasant sans se plaindre ? Pourquoi faut-il attendre plusieurs
mois pour n’importe quelle formalité administrative ? Pourquoi n’existe-t-il
pas de réseaux d’évacuations des eaux usées ? Autant de questions qui
peuvent transformer une journée en une succession d’incompréhensions qui deviennent
rapidement cauchemardesques : Mais dans quel monde ai-je débarquée ?!
Toutes les certitudes que je pouvais avoir sur l’organisation sous-jacente à
toute construction (et elles n’étaient pourtant pas nombreuses !) se sont
trouvées bousculées d’un revers de main ! Les réponses viendront avec le
temps. Il ne faut pas être pressé. Mora-mora disent-ils ici ! Doucement,
doucement !
Il
faut donc chercher des sources de satisfaction ailleurs. Et notamment dans l’apprentissage
des méthodes de construction. En tant qu’architecte, c’est un vrai retour à la
case départ que je vis ici. J’ai eu la chance d’étudier la théorie de l’architecture
à l’école et de réfléchir aux modes de conception d’un projet mais très peu de
toucher à la réalité des matériaux et des bâtiments. C’est donc une chance
inouïe que d’observer tous les ouvriers qui travaillent avec application à leur
tâche. De la fabrication du béton à la constitution des murs de moellons, ce
sont eux qui réalisent ce qui sera bientôt un hôpital. Brouette après brouette,
pierre après pierre, coup de pelle après coup de pelle, ils font preuve d’un savoir-faire
remarquable qui leur vaut toute mon admiration.
Le temps de l’observation ne fait
que commencer et le moment où les conseils que je pourrais dispenser
deviendront appropriés n’est pas encore arrivé !
Superbe compte-rendu !
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