jeudi 20 décembre 2012

Renoncement et acceptation




Premier mois de mission. Premier bilan. Ce fut un mois extrêmement intense en découvertes, en surprises, en étonnements, en tourista mais aussi en éclats de rires, en assiettes de riz et en sourires reçus !

Difficile d’imaginer, avant de partir, qu’un monde si différent pouvait exister. C’est un peu comme si l’on débarque sur une autre planète dans laquelle il faut tout réapprendre : la langue, les codes qui régissent tous les rapports humains, l’environnement, les habitudes alimentaires, le rythme de vie. Sacrée remise en question de certaines de nos habitudes européennes !

Pendant les premières semaines, tous mes sens étaient sollicités par de nouvelles sensations, de nouvelles odeurs, de nouvelles scènes inattendues. Tout déplacement, même le plus ordinaire, donnait lieu à une expérience  fabuleuse : prendre un bus et se retrouver à 6 sur une banquette de 3 personnes, se faire réveiller par les odeurs des étalages de viande crue du marché à 7h30 du matin, être invitée à déjeuner dans la famille d’un séminariste dans une petite maison en tôle au confort rudimentaire, explorer les quartiers aux alentours du chantier et y découvrir des habitations construites avec des matériaux ayant déjà vécues plusieurs vies mais dont les occupants ne négligeaient pas l’entretien.

Comment font-ils pour vivre comme ça ? Sans eau courante, sans électricité, à même le sol, au milieu des déchets, des animaux et de la poussière. Ces questions traversèrent mon esprit pendant plusieurs jours durant lesquels des envies de tout changer suivirent mon étonnement initial. Ranger les poules dans leur poulailler, les chèvres dans leur enclos et les zébus dans leurs pâturages ; débarrasser la ville de tous les amoncellements d’ordures qui s’éparpillent le long des rues ; goudronner les chemins pierreux et reboucher les trous des routes abîmées ; balayer les trottoirs, repeindre les façades et réparer les ruines pour enlever cette teinte grisâtre qui me semblait recouvrir toute la ville ; changer les ampoules grillées des lampadaires, peindre des passages pour piétons et équiper les charrettes à zébus de clignotants ! Ces désirs irrépressibles et inavouables n’étaient établis que sur mes habitudes d’occidentale et n’avaient donc aucun fondement ici. Et les malgaches me le prouvait tous les jours par leurs sourires !

Puisque je suis là pour deux ans, il va me falloir, moi aussi, apprendre à vivre comme ça. Accepter ce combat intérieur pour le laisser s’évanouir (non, je ne suis pas là pour tout changer mais pour changer moi-même !). Accepter les situations comme elles se présentent et non pas comme je voudrais qu’elles soient. Oublier les belles avenues plantées de Paris et trouver la beauté dans l’inventivité et la simplicité avec lesquels tout problème trouve sa solution. Renoncer à toutes les idées préconçues qui m’empêchent de percevoir le charme de cet environnement. Transformer mon regard en modifiant le filtre à travers lequel mes yeux ont grandi pour comprendre celui à travers lequel les malgaches regardent leur pays. Tout un programme !

Le renoncement à soi-même est un combat de tous les jours. C’est pourtant l’état d’esprit indispensable pour admettre que, malgré toute la volonté et l’énergie que j’investis dans mon travail, il m’est très difficile de comprendre les situations qui se présentent à moi. Pourquoi allons-nous acheter des aciers pour la construction chez un fabricant de savon ? Pourquoi constituons-nous un dossier de permis de construire alors que le chantier est déjà commencé ? Pourquoi les travaux ont-ils commencé alors que le budget de la construction n’est pas rassemblé ? Pourquoi les ouvriers travaillent-ils 12h par jours sous un soleil écrasant sans se plaindre ? Pourquoi faut-il attendre plusieurs mois pour n’importe quelle formalité administrative ? Pourquoi n’existe-t-il pas de réseaux d’évacuations des eaux usées ? Autant de questions qui peuvent transformer une journée en une succession d’incompréhensions qui deviennent rapidement cauchemardesques : Mais dans quel monde ai-je débarquée ?! Toutes les certitudes que je pouvais avoir sur l’organisation sous-jacente à toute construction (et elles n’étaient pourtant pas nombreuses !) se sont trouvées bousculées d’un revers de main ! Les réponses viendront avec le temps. Il ne faut pas être pressé. Mora-mora disent-ils ici ! Doucement, doucement !

                Il faut donc chercher des sources de satisfaction ailleurs. Et notamment dans l’apprentissage des méthodes de construction. En tant qu’architecte, c’est un vrai retour à la case départ que je vis ici. J’ai eu la chance d’étudier la théorie de l’architecture à l’école et de réfléchir aux modes de conception d’un projet mais très peu de toucher à la réalité des matériaux et des bâtiments. C’est donc une chance inouïe que d’observer tous les ouvriers qui travaillent avec application à leur tâche. De la fabrication du béton à la constitution des murs de moellons, ce sont eux qui réalisent ce qui sera bientôt un hôpital. Brouette après brouette, pierre après pierre, coup de pelle après coup de pelle, ils font preuve d’un savoir-faire remarquable qui leur vaut toute mon admiration.
Le temps de l’observation ne fait que commencer et le moment où les conseils que je pourrais dispenser deviendront appropriés n’est pas encore arrivé !

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