mardi 5 février 2013

Etangère

C'est un fait. Je l'ai voulu. Je l'ai même recherché : je suis une étrangère.
J'avais envie de cette confrontation. Me sentir seule au milieu de tous. 
Me rendre vulnérable pour aller à la rencontre de l'autre. Et pour lui permettre de venir à ma rencontre.

Cette fois-ci, pas besoin d'entendre ma voix pour s'en apercevoir. Ca se voit.
C'est inscrit dans mon ADN, je ne peux pas le cacher, je ne peux pas m'en défaire. Je suis blanche.

Déjà, entre eux, ils le savent. Tsy zanakan izy. Ce n'est pas un enfant du pays.
Lui vient de Tana. Elle de Diego. Lui vient de Tamatave...
Facile à reconnaître : un teint plus clair, des cheveux plus drus, des yeux plus bridés, un accent plus prononcé. Un dialecte inconnu. Les critères sont nombreux.
Moi, j'ai le maximum de points à ce jeu là : j'ai la peau la plus claire, le nez le plus long, les cheveux les plus blonds et les yeux les plus clairs.
Jackpot. Ticket gagnant. Je suis même hors concours !
J'ai donc hérité du titre suprême : vazaha !

Et ils n'oublient pas de me le rappeler.
-"Bonjour Vazaha !" 
-"Salame tompoko !"(Bonjour à toi !)

-"Pousse-pousse, vazaha ?" 
-"Handeha tongotra, misotra" (Je vais en marchant, merci)

-"Mila vola vazaha" (Je veux de l'argent vazaha)
-"Tsy misy" (Il n'y en a pas)

Oui, je suis différente. Mais est-ce une raison suffisante pour me prendre pour un distributeur. A billets, d'abord. Mais pas seulement. A tout ce qu'ils voient que j'ai, et qu'eux n'ont pas.
Oui, je suis venue pour donner. Mais autre chose. Autrement.
Mais il faudra du temps pour qu'ils s'en aperçoivent. Beaucoup de temps surement. Mais peut-être moins qu'il m'en faudra, à moi, pour les comprendre...

Pourquoi ?...pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Dix, quinze, vingt fois par jours, il revient comme un refrain. J'ai l'impression de redevenir un enfant qui ouvre les yeux pour la première fois sur le monde qui l'entoure.
Essayer de comprendre. Tout en sachant que je n'y arriverais jamais entièrement. Que mon interprétation sera toujours incomplète. Que je serais toujours une étrangère.

Alors accepter de ne pas comprendre. Difficile.
Que faire ?
Se résigner ?
Vivre en attendant le retour ? Non, parce que ça voudrait dire vivre à moitié, survivre.
Vivre dans le souvenir de ce que je n'ai plus ou dans l'espoir de ce que j'aurais en rentrant ? Non, parce que ce serais fuir la réalité.
Se révolter ? Tout changer ? Faire comme j'ai l'habitude de faire ? Comme je sais faire ? Comme ça me rassure de faire ? Ce n'est pas l'envie qui manque.
Mais, eux. Ils vivent bien, eux. Et ils n'ont pas l'air gênés, eux.
Alors continuer à vivre en accueillant ce qui se présente. En les accueillant, eux. 
Mettre un pas devant l'autre dans ce monde inconnu, au milieu de ces inconnus, dans cette langue inconnue. Et essayer de les rendre un peu plus familier. De les apprivoiser. De s'apprivoiser mutuellement peut-être.

Non, ce n'est pas comme je pensais que ce serais ; non, ce ne sera pas comme j’aimerais que ce soit; non ce ne sera pas comme je prévois que ce sera, non plus. Parce que ça m'échappe. Ce sera autrement. Et ça marchera. Pas à ma façon. A la leur. Parce qu'elle est et restera celle qui m'a devancé et celle qui me succédera.

Toujours avancer.
Je ne suis pas venue pour me cacher derrière un diplôme, un métier ou des compétences... Je suis venue pour être. Et être avec eux.
Et cela, malgré un sentiment d'agression permanente. 
Dureté de leur quotidien. Rudesse de leur travail. Sobriété de leur alimentation. Dénuement de leurs habitations. Hostilité de leur climat. Ils souffrent, mais ne disent rien.
Bulle de verre qui explose en éclat pour me faire découvrir de nouveaux horizons.
Chair à vif...

Et pourtant...

Il suffit d'une main tendue, d'un encouragement, d'une parole amicale, d'un mot d'accueil ou d'un fou rire échangé pour me redonner confiance. Pour me donner une place parmi eux. Pour m'autoriser à habiter chez eux. Dans leur pays. Mais aussi dans leur cœur.

Chercher la paix... à l'intérieur... et la trouver sur le visage de l'autre.






7 commentaires:

  1. beau. courage a toi pour la suite! tu es bien partie :)

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  2. Très bien écrit! Merci. Tu dis vraiment ce que j'ai vécu aussi. Je te souhaite de vivre plein de belles rencontres. "Vous avez recu gratuitement, donnez gratuitement" Mt 10,8

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  3. Merci pour ces très beaux articles !

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  4. Merci Delphine pour ce beau texte partagé !
    Tu sembles expérimenter, quand on souhaite donner, on se sent vite le serviteur inutile, conscient qu'avec nos limites nous ne pourrons jamais donner suffisamment; c'est alors que se dévoile l'essentiel: la rencontre et l'amour de nos frères.
    Je pense bien souvent à toi.
    Je t'embrasse
    Marion

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  5. "Espère et prends courage"
    Comme à ton habitude, tu n'as pas voulu de demi-mesure. Tu fonces!
    L'évangile d'aujourd'hui:
    "Le plus grand parmi vous sera votre serviteur" (Matthieu 23, 11)
    Qui a dit que la Bible était un vieux livre poussiéreux, un recueil de belles histoires?!
    Cette parole aujourd'hui est prononcée pour toi.
    Merci...

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  6. Bonjour Vazaha !

    Article très intéressant.

    Pour faire rire les enfants, la prochaine fois quand ils vous saluent en disant "Bonjour Vazaha", repondez par "Manao ahoana Malagasy". Traduction (si vous en avez encore besoin) : Bonjour l’européen(ne), Bonjour les Malagasy.

    Faly : rakotomahafalisaona@gmai.com

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  7. C'est beau et joliment écrit ma Dédé ! Merci pour ce partage spirituel <3

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